mardi 27 septembre 2016

Le « corps médical » est un fantasme, mais les médecins ont de réels privilèges, parfois exorbitants


A celles et ceux qui aspirent à soigner



1° Le « corps médical » n’existe pas

Cette affirmation peut surprendre (et hérisser certains). Elle n’en est pas moins confirmée par les faits.
S’il s’agit simplement de désigner l’ensemble des personnes ayant un diplôme de docteur en médecine – ou qui exercent les fonctions de médecin, ce qui n’est pas la même chose – l’expression peut suffire. Mais elle n’a pas grande signification. Pas plus que quand on parle du « corps enseignant » ou du « barreau » pour désigner les avocats.
De même qu’il existe un monde entre une institutrice de classe primaire et un professeur d’université, il y a un monde entre les modes d’exercice, les statuts et les attitudes des médecins. J’ai exercé pendant vingt-cinq ans comme vacataire dans un centre d’IVG et un centre de planification hospitaliers, où je me suis occupé de santé des femmes ; ma pratique, mon attitude, mon statut et mes revenus n’avaient rien à voir avec ceux des gynécologues de ville (qui pourtant, auraient dû faire le même travail que moi) et encore moins avec ceux de tel professeur de gynécologie d’une grande fac de l’Est (aujourd'hui président du CNGOF) qui me demanda un jour sans rire, après une de mes conférences (à un congrès de l'ANCIC, dans le Sud-Ouest), « Sur quelles études te fondes-tu pour affirmer qu’on peut poser des DIU à des nullipares ? ». C’était en 2004, je crois ; il ne devait pas encore avoir l’internet. Ni être abonné aux publications (gratuites et disponibles en plusieurs langues) de l’OMS sur la contraception. Je lui ai envoyé les références par courriel. 

Peut-on sans mauvaise foi prétendre que le ou la généraliste exerçant dans une campagne en voie de désertification médicale ou dans une ZUP à la population sinistrée fait le même métier que celui qui choisit de poser sa plaque dans une ville balnéaire du Sud-Est ?

Et peut-on vraiment affirmer  que le « cardiologue de famille » qui exerce à Orléans fait le même métier que le spécialiste hospitalier ayant des parts dans une des cliniques les plus cotées de Montpellier ?

Parler du « corps » médical, c’est désigner un ensemble d’individus extrêmement hétérogène, aux privilèges et aux intérêts très différents. Parfois, radicalement opposés. 


2° Etre médecin, c’est être un privilègié

D’abord, réglons cette question une fois pour toutes : être médecin c’est être un privilégié. Et cela, sans même avoir besoin de voir le moindre patient.

Etre médecin permet de se soigner et de soigner sa famille. Quand on sait que l’immense majorité des consultations courantes concernent des problèmes de la vie quotidienne, c’est un privilège considérable de ne pas avoir à demander à un tiers de confirmer que son enfant a une otite et pas une méningite, que son conjoint a une douleur intercostale et pas un infarctus, que sa compagne a une colique néphrétique et pas une grossesse extra-utérine. 

Ce premier privilège (savoir ce qui se passe, et si c’est grave ou non) se double d’un second privilège (prescrire des médicaments et des examens complémentaires) : le simple fait d’être (en principe) mieux informé que le citoyen lambda quant à l’efficacité réelle d’un traitement est un privilège dont on n’a pas seulement commencé à mesurer l’impact sur la vie d’un individu. Troisième privilège : savoir qui appeler et comment accéder à des radios, à une consultation spécialisée, à une hospitalisation. Pas toujours très facilement, mais plus facilement que le commun des mortels, « confraternité » oblige.

Ces privilèges et les prérogatives qui en découlent ont toujours fait des médecins dans leur ensemble des professionnels très courtisés par les riches (qui pouvaient autrefois acheter un avortement « propre » ou, aujourd’hui, un traitement « pas encore sur le marché ») et par les marchands – qui font tout leur possible pour les inciter à prescrire leurs produits ou les commander pour l’établissement dans lequel ils exercent. Les banquiers aussi aiment bien les médecins : la souffrance humaine, inépuisable, est la meilleure caution d'un emprunt professionnel.  

Le savoir des médecins est, bien sûr, ce qui leur permet de faire leur métier.
Il est parfaitement compréhensible qu’ils en usent pour eux-mêmes et leurs proches. Mais en dehors de cet usage bien ordonné, est-il acceptable qu’ils le gardent jalousement pour eux, ou qu’ils en usent de manière discrétionnaire ? L’une des manifestations les plus flagrantes de l’enfermement de la communauté médicale française est l’absence, jusqu’à une période toute récente, de documents d’information conçus par les syndicats, l’ordre des médecins ou les praticiens eux-mêmes à l’intention du public. Un seul exemple (mais il est représentatif) : alors que les livres pratiques sur la contraception existent en Angleterre depuis le début des années cinquante, et aux Etats-Unis depuis la décennie suivante, le premier ouvrage français quasi-exhaustif sur la contraception destiné au grand public date d'Octobre 2001. Et c’est un généraliste isolé qui l’a écrit ; non le syndicat des gynécologues obstétriciens français, pourtant parfaitement équipé pour le faire. 




Ce silence à l’égard du public, qui n’a été rompu que récemment – grâce à l'internet et sous la pression du public, d’ailleurs – que dit-il de la culture des structures de formation ? Comment se fait-il qu’on n’enseigne pas aux étudiants à partager le savoir avec les premiers intéressés ? Le savoir, on peut le partager sans le perdre. Ce n’est pas un lingot d’or. Ce que je sais, je peux le transmettre sans cesser de le savoir. Pourquoi refuser de partager le savoir sur la santé, sinon parce qu’on a conscience du privilège qu’il représente ? 
  
3° Même s’ils sont tous des privilégiés, tous les médecins ne sont pas égaux

Tous les médecins ne « capitalisent » pas leurs privilèges de la même manière car le système veille à les trier. Il suffit en effet de regarder de près le fonctionnement des hôpitaux pour constater que tous les médecins n’y sont pas égaux, aussi bien dans les CHU que dans les hôpitaux de région. Le traitement subi par les étudiants en médecine et résidents, en particulier quand ils sont étrangers, a tout de l’exploitation. 



Le plus grave est qu’on justifie cette exploitation par la « nécessité d’apprendre », et que beaucoup parmi ces exploités la considèrent comme « normale » ce qui entrave toute révolte susceptible de reformer le système. Si la formation médicale est élitiste et violente en France, c’est bien parce que son objectif profond vise à séparer « le bon grain de l’ivraie », les « cadors » des « médiocres », les spécialistes de pointe des généralistes de quartier. 

4° Aristocrates de cour et hobereaux

A leurs privilèges initiaux certains médecins en ajoutent d’autres. Car plus un médecin est « en vue » (ou occupe un poste de responsabilité important), plus il fera l’objet de demandes… et de propositions. En CHU, la « carrière » des internes, des chefs de clinique et des agrégés repose sur un système de cooptation clairement affiché et jamais remis en cause par les pouvoirs publics, ce qui assure aux mandarins en place de ne travailler qu’avec les praticiens qu’ils agréent. Ceux qui ne sont vraiment pas « à leur place » peuvent se voir poussés vers la sortie par un harcèlement violent – voire contraints à se jeter par la fenêtre.




Parmi les membres de la profession médicale, on retrouve la même distribution hiérarchique que dans l’Ancien Régime ; dès l'entrée en médecine, les PUPH se présentent aux étudiants comme de véritables aristocrates de cour (même s'il s'agit d'une cour de province) et leur décrivent les généralistes (quasi-absents de l'enseignement) comme appartenant à une "petite noblesse" assez méprisable, tant sur le plan statutaire que sur celui de son importance dans le système de santé. Les généralistes sont présentés comme des exécutants un peu frustes, qui auront toujours besoin de la parole éclairée du professeur de CHU (ou de ses élèves) pour savoir comment exercer leur métier correctement. Plus tard, ce mépris vertical se manifestera dans les échanges de correspondance et les pratiques de « captation » de patients auxquelles s’adonnent nombre de spécialistes ou d’hospitaliers (Non, non pas tous, mais aucun ne devrait s’y adonner !)

Du fait même de cette hiérarchisation, il est encore plus manifeste qu’il n’existe pas « un » corps médical, mais des groupes d’individus qui se différencient non seulement par leur statut (leurs liens plus ou moins étroits avec l’université, par exemple) mais aussi par leur attitude vis-à-vis de la délivrance des soins.

5° Soigner tout le monde, c’est difficile 

En principe (et la plupart des professionnels ne le démentiront pas) on devient médecin pour améliorer le niveau de santé de la population en général, et des patients qu’on croise en particulier. Autrement dit, on devient médecin pour soigner.

Et c’est bien là le problème. Car soigner, c’est l’opposé d’un privilège. C’est une activité altruiste, tournée vers l’autre, qui demande un investissement intellectuel, physique, émotionnel et moral considérable. C’est une attitude d’entraide et de partage. Quand on veut le faire bien, soigner est difficile. Gratifiant, intéressant voire passionnant et émouvant, sans aucun doute. Mais aussi frustrant, déprimant, éprouvant et souvent épuisant. Et (quand on est généraliste, par exemple, ou spécialiste de quartier) on ne sait jamais de quoi la journée sera faite. Quand on travaille dans un centre de long séjour ou un service de chirurgie lourde, on ne le sait pas non plus. Parfois, tout « roule ». Et parfois – plus souvent qu’on ne le voudrait – on a le sentiment que les catastrophes s’empilent. Et quand elles s’empilent, les médecins de première ligne, qu’ils soient généralistes de campagne ou anesthésistes d’un service de chirurgie générale, se retrouvent souvent seuls.

Car il n’est pas seulement difficile de soigner, il est aussi très difficile de soigner tous les patients qui se présentent. Surtout quand on n’y a pas été formé.
La médecine hospitalo-universitaire enseigne aux étudiants à soigner des patients inévitablement stéréotypés par leur maladie ou, pire, par le type de soin qu’on dispense dans le service où ils font un stage. Confrontés à des patients dont on ne leur montre que les problèmes cardiaques ou les problèmes neurologiques, les médecins en formation ne sont jamais en mesure de voir les individus dans leur intégralité, ni d’apprendre à hiérarchiser leurs difficultés. Quand un patient entre dans un service d’urologie, le problème numéro un est un problème d’urologie, même si ce patient souffre d’une dépression grave ou d’une artérite liée à sa consommation de tabac.

Et ce qui fait toute la particularité – et la complexité – de la médecine générale (ou des spécialités généralistes exercées en ville ou dans les hôpitaux de région), c’est qu'on s'y s’occupe de tout le monde. Et qu'on ne trie pas les problèmes à mesure qu’il surviennent.

6° La sélection des patients contribue aux inégalités 

L’immense majorité des médecins n’ont pas, lorsqu’ils entrent en faculté, envie de soigner tout le monde. Ils ont leurs appétences – ce qui n’est pas scandaleux – mais ils ont aussi, surtout, des répulsions. Ni les unes ni les autres ne sont abordées, discutées, voire même abordées pendant leur formation. Elles restent niées ou ignorées, même quand on les voit comme le nez au milieu de la figure. En France, un étudiant en médecine raciste, sexiste, homophobe, méprisant avec les pauvres ou avec les obèses n’est que rarement remis à sa place pendant ses études, et il n’est jamais sanctionné.

Or, un médecin peut choisir, dans l’immense majorité des cas, d’exercer la médecine qu’il veut. Non seulement sa spécialité -quand il le peut (et plus il s'insère dans le "sérail" hospitalier, plus il lui est facile de la choisir), mais aussi et surtout les conditions dans lesquelles il exerce : son lieu d'installation, la nature des soin qu’il délivre, quel rythme de travail il préfère, s’il fera des visites à domicile ou non ; tous ces choix lui permettent consciemment ou non  de sélectionner de manière plus ou moins exclusive les patients qu’il recevra. (Certains vont même jusqu’à l’ignominie consistant refuser les patients bénéficiaires de l’aide sociale, par exemple.)




Que ce soit bien clair : choisir d’être pédiatre pour soigner des enfants est éminemment respectable. Refuser ses soins aux enfants des pauvres (ou des Roms, ou des couples homosexuels, ou des musulmans) ne l’est pas. Dans le code de déontologie, il est écrit qu’un médecin peut refuser de soigner un patient. Il n’est pas dit qu’il a le droit de refuser les patients pour satisfaire ses préjugés de classe. C'est pourtant ce que beaucoup n'hésitent pas à faire. 

La manière dont un médecin use de ses  privilèges découle inévitablement de ses priorités et de ses phobies. Certains veulent, en « contrôlant » tous les paramètres, se protéger, pour des raisons respectables : le jeune généraliste qui ne reçoit que sur rendez-vous parce qu’il ne veut pas être débordé, par exemple ; ou encore le praticien qui choisit de faire exclusivement de l’homéopathie parce qu’il trouve l’exercice allopathique trop intrusif et ses remèdes trop toxiques. D’autres voient leur métier beaucoup plus comme une source de revenus que comme la délivrance d’un service au public. Alors ils calibrent leur activité en fonction de ça.

Savoir, prescription et connaissance du système permettent aux médecins de protéger leur propre santé et celle de leurs proches. (Le fait que certains médecins se droguent ou se suicident n’infirme pas ce privilège, en particulier quand il s’agit de leur famille.)

Mais la liberté de choisir sa patientèle, de décider qui on soigne et qui on ne soigne pas, est un privilège proprement régalien. Il met le médecin qui en dispose dans une situation de pouvoir insensée – comme en témoignent les dépassements d’honoraires exorbitants que demandent certains spécialistes. Ici encore, le système est complice puisqu’il a longtemps permis à des praticiens salariés du service public d’avoir une consultation privée…

Dans cette sélection des patients, le savoir, le savoir-faire et l’expérience occupent une place de choix. En France, lorsqu’un médecin très spécialisé est doté d’un statut important (chef de service ou de département), il peut contrôler non seulement l'enseignement qui y est délivré, mais aussi les gestes qui sont faits (ou non, comme l’IVG ou la stérilisation, par exemple) sous sa responsabilité, ainsi que les "catégories" de patients qui pourront (ou non) y séjourner. Cette sélection souvent occulte, mais réelle, interdit, de fait, à beaucoup de patients qui en auraient besoin de recevoir des soins. Elle contribue aux inégalités scandaleuses du système de santé, inégalités parfois flagrantes d’un étage à l’autre d’un même hôpital : tous les chefs de service ne disposent pas de la même considération de la part de l’administration – et donc, des mêmes libertés ou restrictions.


7° Le « corps médical » est un fantasme commode pour tout le monde

Pour l’ensemble des citoyens, cela semble une évidence : la santé est (en principe) financée par tous, elle doit (en principe) bénéficier à tous en fonction des besoins de chacun. Mais dans les faits, il n’en est rien : les classes sociales les plus aisées sont en meilleure santé ET ont accès aux soins plus facilement que les classes défavorisées. (Il n’y a plus de lutte des classes en France, mais il y a toujours des classes.)  

Mais aucune politique de santé en France ne s’est jamais souciée de former et de répartir les médecins sur le territoire en fonction des besoins réels de la population

Pour beaucoup de médecins, c'est une aubaine : alors même que leurs revenus sont financés par la sécurité sociale - donc, par les citoyens - ils revendiquent haut et fort leur « indépendance d’installation » et leur « liberté de prescription ». Comme si leur exercice ne devait souffrir aucun contrôle, aucun encadrement, n’être soumis à aucune directive. Comme s’ils revendiquaient non seulement d’être des citoyens à part (ce qu’ils sont déjà) mais en plus de n’avoir aucune obligation à l’égard des autres citoyens


***

Même si elle n’a aucune réalité en raison de l’hétérogénéité de la profession, la notion de « corps médical » constitué, cohérent, agissant en synergie reste pour beaucoup un fantasme bien commode :

- Pour certaines franges de la population, d’abord. Imaginer que le corps médical ne fait qu’un, c’est se donner l’espoir qu’à eux tous, les médecins en savent et en font suffisamment pour nous soulager de nos souffrances ; qu’ils sont suffisamment honnêtes pour ne pas abuser de nous ; qu’ils sont suffisamment généreux pour nous tendre la main quand nous en aurons besoin. Ils prêtent serment, non ? 






Derrière le corps médical, la plupart d’entre nous imaginent « La Médecine », cette entité tout aussi fantasmatique et magique qu’un dieu, qui finira par guérir « le cancer » et nous éviter à tou.te.s une maladie d’Alzheimer. Comment expliquer autrement que les campagnes de collecte de fonds remportent toujours le même succès malgré la pauvreté des retombées concrètes dans la population générale ? 

Quand on est toujours tombé sur des médecins qui se comportent en soignants (il y en a, heureusement ! ), le fantasme de "corps médical" incite à minimiser (voire à nier complètement) l’existence de ceux qui se comportent de manière inexcusable. « Puisque mon médecin est un bon médecin, les mauvais doivent pas être si nombreux que ça. »

Evidemment, plus on est en bonne santé, moins on a de mauvaises surprises avec les médecins. Et comme le niveau de santé est proportionnel au niveau de revenus…  Penser que les bons soins qu’on reçoit personnellement sont délivrés par tous les médecins à toute la population, ça permet de ne pas se préoccuper de ce que les autres vivent – ou de ne pas les croire quand ils protestent, voire de dire que c'est probablement de leur faute s'ils ont été maltraités.  

(Blâmer la victime a des avantages cognitifs et psychologiques supérieurs au fait de la croire. Minimiser la douleur d’un patient qui souffre a les même avantages : ça soulage l’empathie, ça évite de se sentir coupable, et ça permet de dire qu’on a déjà fait son boulot et donc, c’est le patient qui y met de la mauvaise volonté. Bref, c’est émotionnellement plus économique.)

Et bien entendu l’inverse est tout aussi vrai : subir des médecins maltraitants, ça incite furieusement à penser – à tort – qu’ils le sont tous.
Ce type de raccourci peut se comprendre. D’autant que souvent, lorsque des patients disent avoir été maltraités, beaucoup de professionnels ont tendance à ne pas les croire. Même des professionnels de bonne volonté. 
Et quand un autre médecin ne vous croit pas, ça renforce le fantasme de "corps médical" - puisqu'un médecin prend "toujours" la défense des autres médecins. 


- Les pouvoirs publics, qu’ils cherchent à favoriser les médecins ou à améliorer la délivrance équitable des soins, considèrent la profession médicale comme s’il s’agissait d’un seul et même corps, composé de cellules toutes solidaires. Alors que ses membres se comportent de manière hiérarchisée, verticale, inégalitaire. Quelle que soit la réforme qu’un gouvernement de droite ou de gauche veuille faire passer, il lui sera toujours plus facile de l’imposer aux membres de la profession qui ont le moins d’influence et qui, souvent, bossent le plus, dans les plus mauvaises conditions. Donc, dans tous les cas, ce sont toujours les mêmes qui trinquent.  (Je ne ferai à personne l’insulte de préciser lesquels. Disons seulement qu’il y en a en ville et à l’hôpital, et que le plus souvent, leurs noms vous sont inconnus.) Mettre tous les médecins dans le même sac, ça permet de négocier exclusivement avec les syndicats « représentatifs » - c’est à dire les plus embourgeoisés, les plus attachés à leurs privilèges et donc les plus puissants. Ce n’est pas aux médecins les plus insérés dans les entreprises rentables (gros cabinets de radiologie et laboratoires de biologie, cliniques et hôpitaux privés) qu’on va imposer des restrictions, mais à ceux qui pratiquent la médecine en petits groupes ou de manière artisanale. Ceux-là, de toute manière, ils ne pourront jamais faire la révolution : ils sont trop occupés à soigner les patients au milieu desquels ils vivent et exercent.

- Pour un certain nombre de professionnels, enfin : adhérer au concept de « corps médical » - et à ses institutions les plus archaïques (l’Ordre) ou les plus corporatistes (la majorité des syndicats) - permet, selon que vous serez puissant ou misérable, tantôt de conforter ses privilèges et les accroître, tantôt de se poser en victime en se trompant d’adversaire.

Car pour des praticiens surchargés et coincés entre une administration souvent imbécile et des patients eux-mêmes pressurés par des conditions sociales insupportables, il est facile de croire que l’adversaire numéro un, c’est le patient. Après tout, c’est lui qui envahit la salle d’attente, qui fait sonner le téléphone, qui déverse ses trop-plaints dans le bureau, qui fait passer l’empathie du médecin en surcharge, qui s'énerve et qui parfois menace (et une fois, c'est une fois de trop, on ne soigne pas pour se faire taper dessus). C’est le patient qui harcèle ! Les professionnels, eux, ne sont jamais maltraitants ! Le serment d'Hippocrate le leur interdit. Donc... 






Quand ils lisent sur les réseaux sociaux ou entendent à la télé que des patients en ont marre d’être maltraités par certains de leurs confrères, beaucoup de praticiens (pas spécialement maltraitants) prennent ça pour une agression personnelle. En réagissant ainsi, sans s’en rendre compte, ils s’assimilent à ce corps médical fantasmatique, par lequel ils aimeraient être traités comme un égal et protégés. Et beaucoup de ces praticiens oublient que le paiement à l’acte (inégalement rémunéré selon qu’on est généraliste ou spécialiste) les enchaîne irrémédiablement ; que leur illusion d’indépendance fait d'eux des concurrents et les empêche de travailler ensemble ; que les dogmes indiscutés que leur ont assénés leurs enseignants guident leur mode d’exercice ; que la pauvreté de la formation scientifique en faculté leur a fermé l’esprit et que les attitudes hautaines de leurs pairs induisent le même type d’attitude de leur part envers leurs patients et à rejeter ce que ces patients expriment, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils savent, ce qu’ils décident de faire de leur vie.

Ce fantasme leur interdit de voir que les industriels et les marchands, eux, taillent soigneusement leur marketing à la mesure exacte de chaque praticien, de ses failles psychologiques, de ses biais cognitifs, de ses frustrations et de son ignorance. Il leur interdit de comprendre que pour les marchands il est de première importance que les médecins ne soient pas des professionnels du soin mais des dealers.

Le fantasme d’un « corps médical » protecteur permet enfin à certains de se protéger des critiques – et de ne pas examiner de près les individus ou les actes qui déclenchent ces critiques. De même que l’Eglise catholique fait le silence autour des prêtres pédophiles, beaucoup de médecins préfèrent rejeter les accusations de maltraitances (morale ou physique) adressées à certains membres de leur « corps », voire à certains gestes. Et se replient derrière leurs institutions les moins progressistes (c'est un euphémisme). 




Pour trouver « normal » que certains suggèrent aux étudiants d’ « apprendre » l’examen gynécologique sur une patiente endormie et non prévenue, il faut oublier complètement que les patients ne sont pas des objets d’étude ou d’apprentissage. Et croire, donc, que la soif de savoir du corps médical l’emporte sur le respect des patients.

Pour trouver « normal » qu’un médecin porte des jugements sur l’aspect physique, les choix de vie ou les décisions thérapeutiques des patients, il faut oublier que l’opinion d’un médecin n’a pas à s’imposer à celle d’un autre citoyen. Il faut donc, par conséquent, penser que les médecins ont une conscience morale supérieure à celle de leurs concitoyens.

Pour trouver « normal » qu’un médecin accepte ou refuse un patient en fonction de son aspect, de son genre, de son niveau socio-économique, de sa religion ou de ses possibilités d’expression, il faut oublier que la loi interdit toute discrimination aux professionnels de santé… et que c’est écrit noir sur blanc dans le code de déontologie. Il faut être convaincu que les médecins ne sont pas concernés par la loi commune.

Ce qui est pratique dans ce fantasme de corps médical, c’est qu’il peut servir à conforter des médecins ayant des statuts radicalement différents.
Quand on est au sommet de la pyramide, il est très confortable de jouir de ses privilèges sans jamais s’interroger sur leur dimension morale ; alors, pourquoi s’en priver ?
Quand on tout en bas, il est très réconfortant de s’accrocher à ses privilèges élémentaires et à « l’esprit de corps » qui fait de vous un individu à part afin d’oublier à quel point on est manipulé, exploité et entravé. 
Bref, on fume l'opium qu'on peut. 

8° Pour ne plus subir, il faut accepter de questionner les évidences   

Il n’y a pas de solutions simples à un problème (un système) aussi complexe que celui-là. Bien heureux lorsqu’on arrive déjà à en entrevoir certains mécanismes. Mais une des manières de ne pas subir un système, c’est de questionner ses « évidences », de refuser de les prendre pour argent comptant et de retourner à des questions élémentaires, pour trouver ses propres réponses, individuelles ou collectives.

En voici quelques-unes, que je me pose depuis longtemps. Elles m'ont permis de ne pas désespérer, parce que j'ai trouvé certaines réponses personnelles pour canaliser ma colère et ma frustration. Des réponses constructives. Mais elles n’épuisent pas le sujet. A chacun d’ajouter ses questions à la liste – ou de la remplacer par une autre. Et de trouver ses propres solutions. Voire de les mettre en commun, pourquoi pas ? 

"Qu’est-ce que soigner, exactement ? Qui doit définir le soin ? Les médecins ou ceux qui le demandent et le reçoivent ?"

"Quand on décide de faire un métier de soin, pour qui le fait-on ? Où se trouve le juste milieu entre la réalisation personnelle et l’obligation morale – et sociale – de  de servir les autres ?"

"Comment mettre ses privilèges au service des autres afin de pouvoir se regarder dans la glace tous les matins ? 

"Peut-on vraiment soigner en choisissant qui on soigne ? Et si la réponse est non, un pays démocratique doit-il tolérer de former des médecins dont le comportement est élitiste à l’égard des citoyens ?" 

"Le paiement à l’acte est-il le meilleur moyen d’assurer une rémunération suffisante aux médecins qui soignent ? Est-il acceptable que les revenus d’un médecin augmentent avec sa capacité à choisir les patients qu’il reçoit – ou les revenus des patients qui le choisissent ?"

"Le savoir et le savoir-faire médicaux appartiennent-ils aux médecins ? Quelle obligation morale – et sociale - ont-ils de les partager ?"

"A qui appartient le système de santé d’un pays ? A une toute petite partie de ceux qui y travaillent ou à l’ensemble de la population ?" 






Marc Zaffran/Martin Winckler



22 commentaires:

  1. "Les commentaires sont modérés. Tous les commentaires constructifs seront publiés. Les commentaires franchement hostiles ou désagréables ne le seront pas." Charité bien ordonnée....

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    1. Bon, puisque ça n'était pas clair, je précise que par "commentaires hostiles et désagréables" j'entends "les commentaires insultants qui se contentent de me traiter de noms d'oiseaux" (mais ne prennent pas la peine d'argumenter. Comme ce n'est pas le cas du vôtre, je le publie. :-)

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  2. Etre pilote de ligne est un privilège : ta famille voyage partout pour pas un rond.
    Etre prof est un privilège : tu connais les bons lycées, les bonnes flières....
    Etc.....

    Ceci étant dit, Martin, je fais lire à mes patients étudiants en médecine un très joli texte que tu as publié dans "Pratiques" il y a une dizaine d'années (tu racontes ta rencontre avec une promo de P1) .

    Mais là, bordel, c'est trop ! Avec un discours pareil tu participes à cette ambiance de med-bashing qui nous assassine.

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    1. Qualifier ce texte de "med-bashing" est un peu court. D'autres répondent en plus grand détail (plus bas). Tu as certainement d'autres arguments et je serai heureux de les publier, si tu en as le temps.

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    2. Quant aux privilèges, je ne crois pas qu'on puisse comparer le bagage acquis en huit à dix années d'immersion dans le monde médical et la maladie et l'autorisation de prescrire aux avantages d'un enseignant ou d'un pilote de ligne. Ou bien la question de la santé serait-elle moins importante (ou pas plus importante) que celle d'un voyage en avion ?

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  3. Même si c'est moins dans votre scope.
    Il me semble que le problème culturel est similaire avec toutes les professions de santé voire juste les professionnels conventionnés, par exemple taxis et transports adaptés...

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  4. Ce qui lie et qui identifie le corps medical comme un ensemble reconnu, c'est le fait que les individus qui le constituent parlent un même langage, avec son vocabulaire, sa forme, ses idiomes, ses abréviations. De sorte que le mg de quartier, le professeur de CHU, le Praktiker allemand, le physician US, le virologue, le médecin de santé publique, etc, font tous parti du "corps médical", que cela suffit, malgré nos différences singulières, à nous donner la fierté d'y appartenir.
    Bien confraternellement.

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  5. il y a beaucoup de chose à dire et je ne pourrais pas le faire dans un commentaire
    Je prépare un billet sur le professionnalisme qui répondra à une partie des questions posées par ce billet
    Quelques points
    Le conseil de l'ordre est archaïque oui et non. IL est élu par les médecins et reflète par conséquent l'immobilisme ou le conservatisme de la profession qui défend jalousement ses prérogatives. Mais en une période de lutte de pouvoir et d'intérêt économique il reste le dernier rempart contre un asservissement de la profession aux intérêts financiers. Je dois néanmoins reconnaître, qu'en la matière il est timide.
    Les syndicats sont corporatistes. C'est logique un syndicat défend les intérêts ( surtout financiers mais pas seulement) de ses membres il a donc une vision corporatiste en effet.
    Les médecins sont des privilégiés. Oui et non. Un grand nombre sont issus d'une classe sociale favorisée ce qui fait leur privilège. Par contre les médecins ne sont pas des privilégiés, ils n'ont aucun avantage héréditaire, ils sont incontestablement favorisés et bien plus qu'ils ne l'imaginent ou le reconnaissent.
    La question clé est celle de l'avantage de l'auto soin. J'utilise volontairement un terme chère aux promoteurs de l'ETP.
    La possibilité de se soigner, ou de soigner ses proches est un avantage indéniable pour les proches qui n'ont pas à recourir à une autre personne pour ses soins, avec les difficultés attenantes. Le médecin qui se soigne est aussi dans cette situation en tant du'individu malade.Il n'a pas besoin du recours à un autre pour se soigner( enfin pas toujours) il est dans la position qui est l'objectif revendiquée de l’éducation thérapeutique du patient, l'autonomie de gestion de sa maladie. Cette autonomie favorise une vie plus facile avec sa maladie.
    Par contre le médecin qui se soigne ou soigne ses proches est aussi ( en même temps) un soignant. Ce soignant ajoute à la charge habituelle du soin celle de l'émotion plus importante du fait de la proximité affective avec le patient ( ses proches voir lui même)
    Le médecin qui soigne ses proches est donc un individu favorisé par un accès facile aux soins, une autonomisation des soins. Mais il est aussi un professionnel avec une charge supplémentaire à son métier. La limite est variable selon les médecins, conduisant à des attitudes différentes du soins donné aux proches.

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  6. @ Julien Caillat:

    Il me semble que votre réaction - dont la sincérité ne fait par ailleurs aucun doute - est symptomatique de certaines erreurs de compréhension et d'analyse inhérentes à nombre de détracteurs de Martin Winckler, qu'ils soient médecins ou non.


    "Privilèges... blablabla ... privilèges ... blabla ... privilèges ... blablabla ... privilèges. "

    1) Vous balayez du revers de la main la critique formulée par l’auteur du présent article – de manière justifiée ou non, débattons-en – sur la question des privilèges octroyés à nombre de médecins, sans proposer le moindre élément de réflexion permettant de lui (ap)porter fine nuance ou complète contradiction.

    Si, comme je la comprends bien, votre elliptique formulation tend à signifier que Martin Winckler radote et fantasme tout à la fois, j’attire votre attention sur les deux points suivants :

    a) Tout d’abord, le fait qu’une personne développe, approfondisse, répète et remette, sans cesse, l’ouvrage sur le métier, ne suffit pas à la qualifier de « radoteuse », cette dernière tendance se caractérisant par une incohérence et une inutilité que vous ne démontrez en aucun cas. (De même, si vous préférez quelques analogies, que le fait qu’un caissier ou un enseignant répètent cent fois les mêmes paroles aux mêmes personnes ne fait pas d’eux des radoteurs, leurs réitérations, lorsqu’elles sont intelligibles, trouvant sens dans des contextes éloignant tout soupçon de ratiocination. Vous me suivez ?)

    b) Si vous estimez que Martin Winkler se trompe – soit qu’il relaie des informations erronées, soit qu’il en tire des interprétations fallacieuses –, rien ne vous empêche de détailler ici votre point de vue, comme l’auteur de ce blog invite bien souvent ses contradicteurs à le faire.

    (La suite dans le prochain message.)

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  7. « Tout pouvoir ou hiérarchie est l'incarnation du mal croit l'auteur. »

    En toute honnêteté, je n’ai rien lu de tel dans l’article dont nous discutons présentement, pas plus que dans aucun des billets publiés sur ce blog. (Et je crois les avoir tous lus, bien que ma mémoire soit évidemment défaillante.) Telle que je saisis la critique exprimée par Martin Winckler, le problème ne réside pas dans l’existence d’une hiérarchie en soi, mais dans deux traits contingents par trop souvent afférents aux hiérarchies médicales :

    1) Tout d’abord, il s’exerce bien souvent une hiérarchie de droit divin entre médecins et patients ou, pour le dire plus précisément, entre l’opinion des médecins et l'opinion des patients quant à des questions éthiques sur lesquelles leurs thèses et leurs visions du monde ne sont en rien plus qualifiées ou plus pertinentes que celles des non-médecins qu’ils reçoivent. La prérogative du spécialiste réside dans l’information dont il dispose et qui, parce qu’elle excède en principe celle du commun, peut permettre aux patients de prendre des décisions, quelles qu’elles soient, de manière aussi éclairée que possible.

    2) Ensuite, la hiérarchie qui s’exerce au sein même des milieux médicaux, lesquels englobent par ailleurs très grand nombre de non-médecins qualifiés pour le soin, s’inscrit au sein d’une dynamique féodale très peu contrôlée, en l’absence d’instances de surveillance prêtes à sanctionner au besoin. Or, dans tout système hiérarchique figé et cloisonné, tout le monde souffre, à l’exception des privilégiés (et encore !) : les patients, certes, mais aussi les médecins non-privilégiés, les autres soignants et les acteurs du monde médical non-soignants en général. En un mot, Martin Winckler dénonce ici la mainmise économico-philosophique d’une minorité sur un ensemble de personnes dès lors placées sous tutelle diffuse.


    « - la réussite par le travail c'est mal. »

    Je n’ai pas lu un seul propos qui se rapproche de ce constat. Tout au plus peut-on déduire de l’article l’idée suivante : le travail, et la réussite qu’elle implique parfois, n’exonère pas le médecin de témoigner les qualités intellectuelles et humaines minimales requises par l’exercice médical. (Je parle de qualités minimales, à l’instar d’une communication transparente ou d’une courtoisie élémentaire. Tous ne sont pas appelés à devenir de grands humanistes, et cela se comprend aisément.)


    « - l'excellence c'est mal. »

    Itou. Vous reformulez indument.


    « - du coup, forcément, le médecin usent et abusent de leur pouvoir, en s'enrichissant, en ne soignant pas, en refusant d'informer et en violant les patients qui dorment, de temps en temps, parce que quand même c'est marrant. »

    Il me semble, mais vous me détromperez si je m’abuse, que votre réaction témoigne d’un corporatisme aussi énergique que mal placé.

    Vous systématisez de manière tout à fait injustifiée. L’état des lieux effectué par Martin Winckler se borne, me semble-t-il, au double constat suivant : d’une part, il existe un certain nombre de médecins maltraitants – toute maltraitance n’étant par ailleurs pas susceptible des Assises -, d’autre part, les rapports, oraux ou écrits, formulés par des patients ou des soignants divers et variés quant à ces cas, pour certains avérés, se heurtent au mieux à une indifférence générale et, au pire, à une loi du silence rendant toute évolution (interne et externe) impossible.

    Par ailleurs, faut-il rappeler que Martin Winckler, dans ses articles comme dans ses livres, cite nombre de médecins (et de soignants en général), soit en les nommant, soit de manière anonyme, en louant leur intégrité et leurs qualités morales exceptionnelles, interdisant par là que quiconque lui prête des généralisations excessives ?

    (La suite au prochain message.)

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  8. "- c'est pour ça que la santé se dégrade (!) (On ne saura pourquoi le même système français était le meilleur du monde, avant)"

    Il ne me semble pas que cet article tire le moindre rapport de cause en effet entre l’état du milieu médical français et la dégradation, réelle ou supposée, de la santé à l’heure actuelle. Son propos se borne à proposer un certain nombre de constats quant aux dysfonctionnements du monde médical, que ce soit sous un jour universitaire, hospitalier ou libéral.


    "Donc il faut interdire le talent et fonctionnariser tout le monde pour un système plus égalitaire. Comme en ... Angleterre ( "lol" )."

    Je ne sais pas ce que pense l’auteur de votre reformulation mais, pour ma part, je vois, dans ce billet très argumenté, une volonté de transmettre des informations, de susciter le débat, toutes opinions confondues, et, surtout, de réformer – les Écoles, les praticiens, les patients – par la diffusion de l’information, qu’elle soit techniquement médicale ou philosophique.


    "Bon......"

    Comme vous dites. Permettez-moi, en guise de conclusion, d’en venir à une interpellation ad personam que vous entendrez, je l’espère, dans son sens le plus argumenté. Comme déjà évoqué, votre réaction suggère un corporatisme démontrant par l’exemple certain fonctionnement individuel précisément dénoncé par Martin Winckler. Entendez-moi bien : le problème n’est pas que vous soyez en complet désaccord avec sa vision des choses. Le hic, c’est que vous vous défendez mal :

    a) en substituant le dédain à l’argument.
    b) en prêtant à l’auteur des propos qu’il n’a jamais tenus (et qu’il est dès lors aisé de moquer ou de réfuter).
    c) en systématisant à tort des constats qu’il présente comme partiels.

    Votre réponse – et j’assume le caractère hyper-spéculatif de mon hypothèse – semble avoir été dictée par le préjugé selon lequel une communauté à laquelle vous appartenez (et que vous aimez sans doute) ne saurait, par principe, supporter critique, débat et éventuelle amélioration, ceux-ci remettant en cause votre intégrité et vos engagements propres. De ce point de vue, vous confirmez involontairement l’une des tendances manifestes fustigée par l’auteur - ce qui n’est pas pour rassurer la patiente potentielle que je suis.

    Acceptez par avance mes excuses si je me trompe sur ce dernier point. Si vous en avez le temps et l’envie, je serais très heureuse de lire votre réponse, quelle qu’elle soit.

    (Avec mes excuses auprès de l'auteur et des lecteurs pour l'effroyable longueur de la présente. L'argumentation requiert des moyens - et, de surcroît, je ne sais pas faire court.)

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  9. @Marianne

    Si "Martin Winckler" et son dernier pamphlet "Les brutes en blanc" déclenche de si vives réactions de la part de nombre de médecins (dont je suis) ce n'est pas juste par esprit corporatiste rétrograde et narcissisme mal placé empêchant toute remise en question et ouverture à la critique comme certains essaient de le faire croire.

    1°) L'auteur a un parti pris: celui des patients, et plus encore celui des patients victimes d'une relation médecin-malade insatisfaisante voire parfois réellement maltraitante.
    2°)L'auteur développe un discours globalisant tendant à faire croire que cette relation est la norme dans le milieu médical français. Il usera d'une évidente mauvaise foi pour se dédouaner de cette critique en disant que ce ne sont pas TOUS les médecins, mais sa rhétorique est globalisante.
    Or si plus de 90% des patients français sondés font confiance à leur médecin représentant donc la 2nde profession la plus digne de confiance selon les citoyens français, juste derrière les infirmiers(ères), on peut mettre en doute ce discours qui idéalise la relation soignante des professions non médicales comme les infirmiers (qui eux, soignent selon l'auteur) et fustige la prétendue relation condescendante voire maltraitante des médecins. Autant rebaptiser le syndrome de Stockholm "syndrome du patient français" tout de suite...
    3°)L'auteur, si prompt à critiquer le manque de rigueur scientifique du médecin français, s'adonne alors à un argumentaire tout à fait idéologique où tout tant à expliquer que les médecins français soient maltraitants. Bref, le chemin doit mener à la conclusion: c'est le propre d'un discours idéolgique.

    Les réactions seront alors d'autant plus "épidermiques" que:

    - les médecins (au moins les jeunes médecins dont je suis) ne se reconnaissent ni dans la description que fait l'auteur du médecin français et de sa relation au patient, ni dans la description qu'il fait de la formation médicale française actuelle(sans jamais argumenter ni étayer son argumentation autrement que par des témoignages ou anecdotes).
    Et les journalistes ne font bien souvent pas leur travail puisque le sujet est vendeur. Qui a entendu un journaliste objecter à M. Marc ZAFFRAN qui prétend que la relation médecin-malade n'est pas apprise à l'étudiant en médecine que le programme du second cycle des études médicales, depuis 2004/2005 standardisé et commun à toutes les facultés française, comprend plus de 300 items dont en 1ère position, ITEM n°1, figure la relation médecin-malade?

    La position prise depuis des années par l'auteur de "chevalier blanc", de "redresseur de torts" a de quoi irriter.
    A l'écouter il aurait été un très bon médecin, très humaniste, bien avant les autres. Tout médecin honnête pourra trouver au moins une anecdote concernant sa relation personnelle à un patient, où il aura été loin d'être exemplaire et où cette relation aura pu être vécue par le patient comme une forme de maltraitance ("light"). Prompt à critiquer les autres, M. WINCKLER ne fait guère son autocritique... Il n'y a chez lui qu'auto-satisfaction et dépréciation de l'autre...
    Il existe 2 façons de "sortir du lot": soit s'élever au-dessus des autres, c'est difficile, soit les rabaisser. Marc Zaffran a choisi la plus facile avec ce livre, je m'en désole.

    Alors oui la maltraitance médicale existe. Oui il faut la dénoncer. Oui il est parfois utile d'être un peu excessif pour faire avancer une cause. Mais par pitié gardez bien en tête que ce que raconte Martin Winckler est loin d'être parole d'évangile, est au moins partial, souvent partiel, parfois totalement faux et qu'il n'est pas dépourvu de mauvaise foi.

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    1. Et les plaintes des patients. Qu'en faites-vous ? Sont-elles fondées ? Qui les écoute ? Qui les reconnaît pour ce qu'elles sont - l'expression d'un problème réel ? Et si ce problème est réel, ne faudrait-il pas non plus réfléchir à ses causes et s'y attaquer ? Suffit-il de les "dénoncer" pour pouvoir passer à autre chose ?

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    2. Les plaintes des patients, j'y réponds. Quand le dialogue est rompu (ça arrive, très rarement), je renvoie vers un collègue, en l'avertissant bien évidemment.
      Oui il y a des plaintes, certaines totalement fondées, d'autres non, mais il faut garder à l'esprit le prisme déformant que peut être internet ou que vous pouvez avoir du fait de votre notoriété et du "combat" qui est le vôtre. Il y a un "biais de publication" évident et il serait bon de rappeler: 1°) que la plupart des consultations se passent sans aucune forme de maltraitance, 2°) que les choses évoluent favorablement, même en France (dans la formation dans TOUTES les facultés, dans la pratique dans les hôpitaux: conciliations, revue de morbi-mortalité pour discuter de nos erreurs). Peut-être le monde libéral reste-t'il plus longtemps figé à ces pratiques anciennes, pour certains...

      A un discours partial et excessif, veuillez agréer que je réponde par un discours excessif également.

      Je vous remercie sincèrement de votre réponse.

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  10. Les médecins français ne sont pas fixés dans le formol, la formation évolue également. Des comportements qui encore étaient fréquents il y a 1 ou 2 décennies le sont de moins en moins. L'annonce d'une maladie grave comme un cancer ne se fait plus du tout comme il y a 20 ans.
    Bien sûr comme pour toute évolution, surtout concernant un art pratiqué par des gens qui peuvent avoir 40 ans de différence d'âge, il y a une inertie certaine, mais je serai heureux que l'auteur, au moins une fois, admette que les choses évoluent dans le bon sens et cesse son discours prétentieux souvent, diffamatoire parfois du haut de son piédestal médiatique et d'autant plus éloigné de la réalité médicale française qu'il est exilé et n'exerce plus depuis quelques années déjà...
    L'éloignement spatial et temporel conduit à déformer une réalité qui devient lointaine et est propice à la construction du mythe...

    Dr GOUHIER

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    1. Oui, Paul Gouhier, les choses évoluent dans le bon sens... dans certaines facultés, chez beaucoup d'enseignants et les étudiants qu'ils forment. Mais l'inertie que vous mentionnez est réelle, et surtout, le refus de reconnaître que des professionnels censés soigner ont un comportement authentiquement maltraitant, moralement inacceptable, sont des freins puissants à cette évolution. Quant à vos remarques sur mon "exil" et le fait que je n'exerce plus est encore une fois la marque de cette arrogance du corps médical français : toute parole venue d'un individu qui n'est pas "agréé", "adoubé", est nulle est non avenue. Or, encore une fois (et je commence le livre par ça) je suis un citoyen, un patient, un parent et un frère de patient. Et mes critiques ne sont pas fondées sur la "prétention" ou la paranoïa, mais sur le recueil de témoignages de patients et de soignants et l'observation... de la presse. Vous partez du principe qu'ils n'existent pas, et cela en soi est tout à fait révélateur. La moindre des choses, quand on reçoit une critique consiste à l'entendre et à l'examiner. A s'interroger sur ce qui la motive. A se demander si effectivement, elle n'est pas fondée - peut-être à notre insu. Rien de tel dans les rejets de ce livre (le plus souvent avant même de l'avoir lu). Quelle meilleure démonstration de la surdité de tant de médecins devant les plaintes de patients qu'ils ne comprennent pas, qu'ils ne veulent pas prendre en compte, parce qu'elles ne rentrent pas dans leurs cases, dans leur mode de pensée. Evidemment, tenter de disqualifier le messager, c'est tellement plus élégant que d'entendre le message.

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    2. Monsieur,

      Vous posez des questions éthiques de base d'une importance capitale à se poser. Elles ont déjà été élucidées dans la majorité des cas, soigner veut dire prévenir, soulager, aider, accompagner... tout le monde le fait au quotidien, la grand-mère avec ses grogs, le chirurgien avec son bistouri, l'ami qui nous écoute. Il devrait donc être encadré lorsqu'il s'agit d'un acte professionnel amenant une rémunération et donc doit être protégé par la loi afin d'éviter au maximum les débordements. Il a déjà été défini pour de nombreux actes, codifié par exemple dans la CCAM. Mais des fois il semble qu'il manque des actes dans la CCAM ! Tout « soin » doit être acté ? Non... lors d'une consultation (cotée donc), plusieurs « soins » pourraient être définis... on n'en finirait pas au niveau professionnel. Je crois que cela devrait être défini comme toute action de prévention ou d'intervention qui engendre un bénéfice pour la santé non  ? C'est donc une notion très élastique...
      Je ne suis pas médecin mais dentiste, des actes techniques il en existe des centaines. Ce sont des actes qui nécessitent l'engagement de frais importants, du savoir-faire rare (sachez que l'économie c'est l'étude de la rareté des biens et services). Prenons un exemple, l'extraction simple d'une dent. Il s'agit d'un acte anxiogène mais simple, avec très peu de risque. L'acte peut se dérouler en 10 minutes comme en 45 minutes... difficile de prévoir parfois. Le code HBGD036 sera facturé au patient, enfin à l'AM. Si le patient est très anxieux, il faut l'écouter, le rassurer, lui expliquer, prendre en charge son anxiété avec sérieux, ce sont des soins ou cela fait parti du soin coté HBGD036 ? Pour moi il fait parti de l'acte coté. HBGD036 est un code mais il peut être traité de différentes manières selon le dentiste qui effectuera HBGD036. C'est dès lors le patient qui imposera la manière de traiter HBGD036, selon son état et sa demande. « Docteur allez-y doucement, j'ai très peu d'avoir mal » et « c'est bon je suis habitué vous pouvez y aller ».... ce n'est pas la même chose ! Il est donc défini directement par les soignants, qui de part l'expérience générale et l'évolution de la médecine ont su mettre au clair les actes médicaux clairement et indirectement par les patients qui nous feront moduler notre prise en charge pour qu'elle soit la meilleure possible pour eux, donc selon eux. Au final sans se prendre la tête, soigner c'est proposer des solutions à l'autre et les mettre en œuvre s'il est d'accord (hors handicap lourd ou certaines maladies psychiatriques ou neurologiques bien entendu). C'est comme cela que je raisonne.

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    3. "Quant à vos remarques sur mon "exil" et le fait que je n'exerce plus est encore une fois la marque de cette arrogance du corps médical français : toute parole venue d'un individu qui n'est pas "agréé", "adoubé", est nulle est non avenue."

      La vous devenez paranoïaque et votre défense est de mauvaise foi (c'est là mon principal reproche).

      Je ne nie pas l'existence de la maltraitance médicale, plus ou moins évidente. Mais votre ouvrage et le traitement médiatique qui en est fait tend à faire croire:
      1°) que la maltraitance médicale est la norme ou en tout cas extrêmement fréquente en France
      2°) que ce n'est pas le cas à l'étranger

      Enfin le fait que vous soyez au Canada et n'exerciez plus depuis quelques années est un élément important pour comprendre l'éloignement de ce que vous décrivez et de ce que vivent réellement les médecins dans leur pratique quotidienne.
      Et quant à votre argument: "Je m'exprime en tant que citoyen", très bien. Mais tous les journalistes insistent sur le fait que vous êtes médecins, laissant à penser que vous êtes encore au cœur du système.
      Le reproche vaut la bien plus pour les journalistes qui ne font pas leur travail en prenant pour argent comptant tout ce que vous dites sur la pratique médicale française actuelle sous prétexte que vous êtes un médecin français.
      Votre vision de la médecine française actuelle est basée sur une pratique ancienne ET sur des témoignages de patients.
      Même nombreux il n'en reste pas moins vrai que les témoignages recueillis ne peuvent donner une idée exacte de ce qu'est la pratique médicale française:
      - du fait du biais de publication évoqué plus haut
      - du fait que vous ne recevez à travers ces témoignages qu'un seul point de vue, qui est parfois largement discutable...

      Ce qui choque, à mon avis, les médecins français:
      - c'est le caractère excessif de votre discours où jamais, sauf impasse, vous ne modérez vos critiques
      - c'est le caractère globalisant de votre rhétorique où tout médecin français, puisque prétendument mal formé, prétendument élitiste et hautain, prétendument hermétique à toute remise en question de son savoir et de sa pratique, serait un maltraitant en puissance
      - Ce sont les conséquences potentielles de votre discours qui, loin de faire progresser votre cause, peut créer un climat de défiance infondé dans la relation de nombreux malades avec leur médecin
      - C'est enfin, même devant l'évidence, votre ténacité à ne jamais remettre en question VOS certitudes quand votre point de vue est certainement bien aussi faux que le mien.

      "La moindre des choses, quand on reçoit une critique consiste à l'entendre et à l'examiner. A s'interroger sur ce qui la motive. A se demander si effectivement, elle n'est pas fondée - peut-être à notre insu."

      Bien à vous.

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  11. L'état de la médecine en France est ce qu'il est. Catastrophique. C'était prévisible après 20 ans de numerus clausus exsangue, de sélection de médecins plus dociles les uns que les autres, dont l'abnégation serait admirable si elle ne les avait pas transformés en moutons. L'avenir est du coté de la robotisation des soins. On en prend le chemin depuis bien longtemps et l'étape actuelle est une transition entre l'homme et la machine. Il faut bien préparer les gens à préférer les robots.

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  12. Ne vous inquiétez pas mes chers confréres l'IA est en route et vous ne serez plus que les pions de messieurs les robots qui vous reconnaîtrons au 1er coup d'oeil!

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