dimanche 11 septembre 2016

Soupçon, incrédulité et maltraitance, une expérience vécue - par H.

Vous vous souvenez de ce jour où vous êtes tombé dans un champ d’orties ? Vous avez essayer de l’éviter, mais la pente était raide, le vélo s’est emballé. Et vous voilà prisonnier de plantes hostiles qui attaquent votre peau. Ca gratte, ça pique, ça brûle. Il y a un an je me suis réveillée dans cet état, et les orties ne m’ont plus quittée, attaquant toujours plus fort, les fesses, les jambes, le torse, les bras et un jour le visage ou les parties génitales. Au fur et à mesure elles ne se satisfont plus des boutons et des plaques qu’elles infligent, elles attaquent plus profond, elles font gonfler les membres ou le visage. Ce champ d’orties qui m’accompagne en permanence est une maladie : l’urticaire chronique. Mon corps produit tout seul ces attaques. Ca gratte comme des boutons d’araignées, ça pique comme des insectes qui mordilleraient la peau, ça brûle comme un coup de soleil, ça fait mal comme un bleu. Tout le temps.

J’ai écrit la majeure partie de ce texte dans la salle d’attente des urgences, parce qu’après un an de nomadisme médical, je suis devenue folle, au sens propre. Folle de douleur et de démangeaison, mais aussi rendue folle par l’absence de traitement et de considération du corps médical. La violence du système médical m’a fait perdre un an de ma vie. Mais ce texte n’est pas une plainte, c’est un témoignage. Nous sommes des centaines de milliers à devoir nous battre contre la maladie et dans le même temps contre un système médical hostile. Dans ce combat nous partons inégaux. Or mon niveau d’instruction et ma position sociale me placent dans les privilégiés. Je ne suis pas une victime, je suis une combattante et ce texte est une arme. Ecrire me permet de mettre au loin ma colère pour continuer ma vie, publier offrira, je l’espère, des outils pour les malades et leurs proches.

            Urticaire chronique 366ème jour, salle d’attente des Urgences

Ce matin la démangeaison m’a réveillée. Pas plus atteinte qu’un autre mauvais jour, mais c’était le jour de trop. Le jour où les tergiversations, les examens inutiles et humiliants, les promesses de traitement non tenues devaient cesser. Ce soir je devais avoir un traitement ou je sombrerais dans la folie. Déjà je m’entendais chantonner des chansons que je n’ai jamais entendues.
J’ai filé aux urgences. Ils sont gentils aux urgences, une fois passé le suspicieux « Vous venez pour de l’urticaire ?? ». Pourtant dans la salle d’attente je vois un peu des minuscules violences que subissent les malades. Mises bout à bout durant des mois, de médecins en examens, d’hôpitaux en cabinets, elles constituent une souffrance qui s’ajoute à la maladie. Elles sont responsables de l'obsession qui envahit petit à petit notre esprit, jusqu’à la folie. Cette accumulation est un rite initiatique, un bizutage organisé inconsciemment par tout le corps médical. Tu veux un traitement ? Prouve nous que tu es « compliante », que tu obéis aveuglément.

Aux urgences, d’abord on nous suspecte (« ce n’est que de l’urticaire »), ensuite les aides soignants appellent des  noms du fond de la salle, ils se retournent, ils laissent les patients les suivre de loin. On marche vite vite pour les rattraper en se demandant pourquoi cette personne en pyjama ne nous a pas dit bonjour, ne nous a pas regardé.

Ca a commencé comme ça mon parcours médical. L’attente. 6 semaines pour que mon urticaire soit déclarée chronique pour avoir droit de voir un spécialiste, puis encore 4 semaines pour avoir un rendez-vous chez un dermatologue. J’ai vu la « meilleure » dermatologue de Paris paraît-il, en tout cas une des plus chères. Pas besoin de se demander pourquoi je l’ai laissé faire sans rien dire j’étais impressionnée par son énorme bureau en marbre massif dans cet immense cabinet à 50000€ le mètre carré. Je payais 100€ la consultation, je n’avais aucun souci à me faire à ce prix là. Et puis la toubib était drôle et sympathique. Ce n’est que des semaines après que j’ai réalisé qu’elle n’avait même pas jeté un oeil sur ma peau. Ce n’est qu’aujourd’hui que je m’aperçois que je suis repartie avec une batterie d’examens à subir, mais pas d’ordonnance qui augmente ma dose d’antihistaminique. Alors que de toute évidence j’avais besoin d’un traitement plus fort. En sortant, je me disais qu’elle avait fait de son mieux, que je devais serrer les dents et être forte. Je me suis dit ça 200 fois par jour pendant un an.

Un mois plus tard, toujours couverte de plaques, la même médecin m’apprend que j’ai une urticaire chronique. Ca existe, c’est une maladie, dans 6 mois ce sera fini, je dois continuer mon traitement qui ne marche pas, mais bon ça va quoi, on vit très bien avec de l’urticaire, faîtes pas votre chochotte, ça gratte tant que ça ? Heu non non, pardon docteure, ça ira. J’ose tout de même demander pourquoi mon urticaire est plus fort pendant mes règles. Mais parce que je suis focalisée sur mes cycles, comme toutes les jeunes, je suis parisienne et stressée voilà tout, allez voir ce bon gynéco ma petite (vous avez l’âge de ma fille) et voilà tout.

Et moi, si habituée à ces discours, je repars, bonne petite soldate, la bourse allégée et plutôt rassurée. Le « bon » gynéco confirme les dires de sa consoeure et « j’ai fait 10 ans d’étude, je sais de quoi je parle. On va arrêtez les cycles si ça peut vous rassurer.» Moi aussi j’ai fait 10 ans d’étude, je ne vois pas le rapport, mais encore une fois je sors rassurée, tout va s’arrêter c’est la docteure qui l’a dit et elle a été à l’école.

Mais tout est allé de mal en pis. La pilule progestative prescrite a rendu mon urticaire absolument incontrôlable. J’ai passé 10 jours dans un brasier, à me gratter au sang. J’ai arrêté cette contraception nocive (mais puisqu’on vous dit que l’urticaire n’a rien à voir avec vos cycles ou les hormones enfin !). Depuis ma maladie n’a jamais retrouvé son niveau d’avant cet épisode. Chaque menstruation est une torture. Il existe une maladie appelée « dermatite auto immune à la progestérone », mais aucun spécialiste que j’ai vu n’a voulu me faire le test. Ils n’y « croient pas » (sic).

Cela faisait maintenant 7 mois que je vivais dans mon champ d’orties, je devenais chaque jour moins active, moins joyeuse, plus angoissée. Comme j’ai la chance de savoir faire des recherches, je me suis mise à lire des articles scientifiques, à tenter de comprendre comment fonctionne cette maladie. J’ai échangé avec d'autres patients, j’ai appris l’existence de traitements qui fonctionnent mais qui sont donnés en dernier recours. Comme dans toutes les maladies chroniques, il y a plusieurs phases de prise en charge (4 dans mon cas), avec un traitement de plus en plus fort. J’ai pris rendez-vous dans un service spécialisé. Le 1er docteur m’a passé de la phase 1 à la phase 3, il m’a fait faire une biopsie. Il m’a à peine regardé pendant les 5 minutes de la consultation, il a été méprisant et m’a fait des reproches. Mais je m’en moquais, j’avais un traitement et une biopsie c’est du sérieux quand même, on me prenait en charge, enfin. Comme à chaque fois, je suis ressortie pleine d’espoir et toute confiante dans la médecine.

Je crois que c’est dans l’attente des résultats de cette biopsie que je suis devenue folle petit à petit. Les premières semaines le traitement m’a accordé du répit, l’hôpital allait me rappeler avec les résultats et il en découlerait un ajustement thérapeutique, tout roulait. Mais bien sûr que non. Il a fallu prendre moi-même rendez-vous et retourner à l’hôpital.

Ah madame, c’est qu’on ne trouve plus votre dossier, ah le voilà, des résultats quels résultats, non non ils ne sont pas arrivés, ça prend du temps vous savez. Mais madame soyez patiente un peu, je n’ai pas de temps, prenez votre ordonnance, je n’ai pas le temps, dans 3 à 5 ans ce sera fini, allez au revoir, je file je n’ai pas le temps.

Et j’ai basculé. Le traitement ne marchait plus, ces résultats qui n’arrivaient pas, c’était impossible, ça tournait en boucle dans ma tête, il me fallait ces résultats, c’était la clé. Pendant 10 jours j’ai appelé 10 fois par jour le service, ça sonnait dans le vide. Pour éloigner mon esprit de la douleur et des démangeaisons, j’avais construit d’autres obsessions : avoir mes résultats, avoir un traitement, trouver le bon médecin. Mais personne ne répondait, comment se battre contre un fantôme ? Le désespoir m’a envahie, entrecoupé de sursaut de vie.
Un beau matin j’ai débarqué dans le service bien décidé à ne pas en repartir sans mes résultats, prête au scandale s’il le fallait. Je me pensais forte... je suis repartie la queue entre les jambes.

La biopsie a été faite il y a 4 mois ? Mais ma petite dame j’ai pas le temps de vous recevoir je m’en fous de vos résultats allez les chercher au labo de l’hôpital c’est pas mon problème.

Pourtant une semaine après, quand je suis revenue, après avoir changé de médecin et prévenu la cheffe de service, ils étaient là mes résultats. Comme depuis que le labo les avait transmis, 4 mois plus tôt. Normal quoi. Cependant, la docteure A m’a expliqué qu’ils n’étaient pas utiles. Manière de me dire que j’avais fait un scandale pour rien ? Ainsi, les examens c’était terminé pour moi, je repassais en phase 2 de traitement mais seulement pour 15 jours et si ça ne fonctionnait pas hop phase 4, le médoc qui marche à tous les coups. Quel légèreté en sortant ! Dans15 jours tout ça serait derrière moi. Le cauchemar était terminé, cette docteure A était mon héroïne.

Mais non. Finalement la docteure a changé d’avis. 15 jours après, les résultats de cette biopsie il fallait les prendre en compte, il fallait refaire plein d’examens, c’était inquiétant tout ça. A partir de ce moment, la maladie a pris le pouvoir sur moi. Je passais mon temps à lire des publications, à essayer de comprendre pourquoi on me demandait ces absurdes examens, pourquoi je n’avais pas droit au traitement, pourquoi ils attendaient comme ça. Je réfléchissais à des stratégies, je demandais des justifications scientifiques. Mes proches étaient rassurés qu’on me demande des examens. Je voulais leur crever les yeux : ils ne voyaient rien, ne comprenaient rien ou quoi ? Dans mon délire, je m’accrochais à une date, le 28 juin j’avais décroché un nouveau rendez-vous avec la docteure A, je ne partirai pas sans un traitement, je serais forte, c’était ça ou me foutre en l’air, de toute façon.

Pourtant, encore une fois, ce 28 juin j’ai quitté l’hôpital sans nouveau traitement. Et cependant rassurée. Comme d’habitude. Après m’avoir reproché mes mails, la docteure A m’a fait comprendre que mes résultats d’examens étaient inquiétants, qu’elle devait discuter avec ses collègues. Même traitement qui ne fonctionne pas, nouveaux examens et on se revoit dans un mois. A chaque visite le patient remplit des questionnaires sur la qualité de vie, le mien explicitait que depuis 9 semaines je n’avais pas eu un jour de répit, j’avais précisé que je voulais mourir et j’étais recouverte de plaques d’urticaire de la tête au pied. Mais je suis repartie sans traitement et sans date de rendez-vous. Et - par quel tour de passe passe ?- rassurée. Dans un mois maximum tout serait terminé.

Combien de fois aurais-je gobé cette fable, si un soir, je n’étais devenue si méchante et délirante qu’Edouard a crié que j’étais folle ? Oui, j’étais folle, folle de douleur, folle de démangeaison, folle de ne pas avoir de traitement, folle d’être maltraitée par le système. Je me mettais des échéances, tenir encore 15 jours, encore 1 semaine. J’avais construit un raisonnement selon lequel puisque la maladie augmente pendant mes règles, même si les médecins refusent de voir le lien, être enceinte arrêterait tout, donc je regardait les sites pour devenir mère porteuse. Pourquoi mes amis trouvaient cette idée lumineuse idiote ? Le plus souvent, je leur affirmais très tranquillement, persuadée que c’était d’une logique implacable, que j’allais me suicider dans 3 semaines si il n’y avait rien. J’avais envie de mourir et c’était une évidence.
Puisant dans mon instinct de survie, j’ai demandé à refaire l’examen qui inquiétait tant le Dr A. J’étais sûre que tout allait bien. Et j’avais raison, mes examens ne montraient rien d’inquiétant. Il n’y avait en réalité aucune raison d’attendre encore avant de me traiter. Mais alors, à part pour me punir, pour quelle raison le Dr A m’avait laisser partir de l’hôpital recouverte d’urticaire, le cerveau embrumé par les idées noires ?

Ce matin, j’ai compris que j’étais en danger. Quand on veut mourir, on est en danger de mort. J’ai réuni tous mes résultats, le calendrier qui montre l’évolution de ma maladie, avec les traitements successifs, la concordance des crises avec mes règles, le fait que depuis un mois mon traitement a été réduit à peau de chagrin, les compte-rendus des toubibs. Direction les urgences de l’hôpital où je suis suivie. Un urgentiste c’est pragmatique, c’est là que je trouverais du secours.

369ème jour - Dans le train pour les vacances

Et ça a marché ! Pour la première fois un médecin m’a écoutée, ne m’a pas coupée, ne m’a pas demandé ce que je fais dans la vie blablabla. Elle a seulement accueilli mes plainte , elle m’a rassurée « oui, c’est une urgence » et elle m’a soignée. Grâce à cette urgentiste j’ai vu une psychiatre, qui entre 2 défenses de ses confrères, m’a fait comprendre que cette maladie est invalidante et nécessite une prise en charge psychologique qu’on ne m’avait jamais proposée. Grâce à cette urgentiste j’ai eu un rendez-vous dans la journée avec la Dr A et d’autres médecins du service qui me traite. Et tout à coup, elles se sont occupé de moi.
La clé pour choisir mon traitement était bien la biopsie. Cela détermine le choix du médicament, il faut un mois pour vérifier si ça fonctionne mais on m’a donné directement le prochain rendez-vous, pour que je ne m’inquiète pas de ça. Une simple politesse qui m’était jusqu’alors refusée. J’aurais dû bénéficier de ce traitement il y a 6 mois, mais pas un mot d’excuse de la part des médecins qui m’ont reçue.

Les premiers bénéfices ont mis 2 jours à apparaître. L’arrêt de la douleur a eu l’effet d’une drogue sur mon cerveau. En me réveillant, j’ai constaté que ça ne me grattait plus, je n’avais plus mal. Et j’ai passé 12 heures de pur bonheur, ivre sans alcool, cotonneuse comme après un orgasme sans sexe, une petite voix me murmurait « dors, sois sans crainte » , mais je ne voulais pas dormir, je voulais savourer encore un peu. Puis j’ai eu une violente migraine comme une descente de LSD. Pas besoin de drogue, de vodka ou de sexe  : je n’avais tout simplement plus mal. Cette journée m’a fait comprendre la violence de ce que j’ai vécu. Mon cerveau décompressait de semaines de souffrances.
Du jour au lendemain, plus d’idées noires, plus de folie, rien. L’urticaire me rendait folle, mais dès qu’elle s’est arrêté mon cerveau est retourné à son état précédent, il est tout à fait sain. Jamais le système médical ne reconnaîtra qu’il m’a fait perdre 6 mois de ma vie dans la folie de la démangeaison, que ce n’est pas l’urticaire mais l’absence de traitement qui m’a poussée aux urgences parce qu’il me restait assez de lucidité pour comprendre que souffrir et vouloir mourir n’est pas normal ou logique. Que j’étais en danger.


Il ne le reconnaîtra pas car ce bizutage est inconscient. Et il risque de continuer, je vais encore longtemps devoir me battre pour avoir les bons dosages ou pour que le lien avec mes cycles menstruels soit exploré. Mon histoire est la même que celles de dizaines de milliers de patient-es, je ne suis pas plus à plaindre qu’un-e autre. C’est l’histoire banale d’un rite initiatique, vécu par des millions de malades, pour que la médecine les considère assez pour les soigner. Un rite où l’ont doit attendre, marquer sa déférence vis-à-vis médecins, adhérer à leurs croyances, ne pas dire un mot plus haut que l’autre. Un rite pour montrer qu’on est capable de supporter, la maladie, la douleur, l’humiliation, l’incertitude. Ce n’est que si l’on est un « bon malade » (j’ai entendu l’expression), que le système médical nous prendra en compte. Ou si l’on se bat. Alors arrêtons de supporter, battons-nous.

H. 

2 commentaires:

  1. Ayant vécu la même histoire, j'ai eu la chance de rencontrer une médecin spécialiste de l'urticaire, au bout de 5 mois (seulement!) de traitements et examens inutiles... La qualité de son écoute et l'impression d'être enfin entendue ont,il me semble, entamé la guérison avant même la prise du traitement.

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  2. Terrifiant, mais c'est exactement cette forme de torture et de maltraitance que nous vivons tous avec différentes maladies parfois pendant plus de 10 ans quand elles ne nous mènent pas directement au cimetière par défaut de compétence et d'humanité.

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