mardi 29 novembre 2016

La patiente-médecin et la maltraitance ordinaire - par M.E. (Au-delà des Brutes en Blanc, 3)



M. H. est médecin dans le Sud-Ouest de la France.
Elle m’a envoyé ce témoignage sur ses expériences de la maltraitance médicale.
Il serait bien sûr inacceptable que les médecins soient "mieux" traités que les patients qui ne sont pas médecins. Il reste inacceptable que n’importe quel.le patient.e soit maltraité.e comme elle l’a été.  
MW
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Comme beaucoup de patientes, j’ai été confrontée à des attitudes, qui m’ont d’autant plus interpellée et choquée, que je suis médecin. Quelques lignes pour en parler, et remercier tous les soignants respectueux de leurs patient.e.s, bien heureusement j’en ai rencontré beaucoup et j’espère en faire partie.
Problème de communication ? Je pense qu’aucun des médecins dont je vais vous parler n’est conscient de ce que leur attitude peut avoir de non adaptée, voire délétère, certains pensent même être bienveillants…
Nos études médicales manquent cruellement de psychologie, d’empathie et de vision globale du patient, pour ma part j’ai appris tout cela bien plus tard, grâce à mes patients, et aux formations que j’ai faites.

"Stérilet" :

Mon sympathique gynécologue, après mon second accouchement, me propose un stérilet magique : j’adore le concept, hormonal, je n’aurai presque plus mes règles. Dommage, alors que mon visage est constellé de boutons d’acné post-partum, il n’a pas pensé à me prévenir, que cela risquait de l’aggraver.
Je l’achète en pharmacie, et c’est un nouveau gynécologue, car nous venons de déménager qui me le pose. J’ai fait du forcing auprès de la secrétaire, les délais sont à plus de six mois, j’obtiens un rendez-vous entre deux patientes parce que je dis que je suis médecin, le gynécologue me reçoit, m’interroge à peine, me pose le stérilet, puis une fois rhabillée m’explique que cela ne va pas arranger l’acné que j’ai déjà : je suis décomposée ! Ce n’est pas grave, certes ce n’est que de l’acné, mais j’ai 33 ans, j’aurai dû lire la notice c’est sûr ! Mais zut, quoi !!!
Jusque là, cela peut nous arriver à tous, moi la première.

"Amniocentèse et trisomie 21" :

Je ne lancerai pas de débat sur le sujet, juste mon vécu, en 2009. Je suis enceinte de mon quatrième enfant, suite à mon bilan sanguin rassurant concernant le risque de T21, mon gynécologue m’appelle, me rassure en m’annonçant un risque de 1/700, il me conseille de me rendre au CHU afin de bénéficier d’une échographie fœtale de pointe par le Professeur réputé, car le taux sanguin d’alphafoetoproteine est deux fois supérieur à la normale. Le protocole est de vérifier qu’il n’y a pas de mauvaise fermeture du tube neural.
Je suis d’accord, il m’a gentiment pris le rendez-vous pour le lendemain, je m’y rends seule mon mari ne pouvant pas se libérer, et il s’agit pour moi d’une échographie pour nous rassurer , j’y vais confiante.
A mon arrivée je suis accueillie gentiment par une infirmière qui m’explique comment peut se dérouler une amniocentèse, les risques et le suivi. Surprise, et polie, je ne l’interromps pas , je lui précise tout de même que je ne viens pas pour une amniocentèse, elle m’explique que c’est au cas où elle me serait proposée.
Le professeur pratique l’échographie, très bien, tube neural parfait, mon bébé ne présente aucune anomalie, et j’apprends que c’est une fille !!!
Au comble du bonheur, nous avons 3 charmants garçons, je clame haut et fort, du fait de l’accueil : pas de besoin d’amniocentèse !
Et là : la douche froide, « pas du tout ». Et moi de répliquer en me rhabillant : « l’échographie est normale, aucun signe mineur de T21, mon risque calculé est de 1/700 »,
Mais j’ai bientôt 40 ans, et nous sommes à 15 jours de l’application de la nouvelle loi, plus de remboursement pour amniocentèse systématique pour recherche de T21 au prétexte d’être âgée de plus de 38 ans, cette dernière ne le sera plus que lorsque le risque parait très élevé.
Et là, alors que j’étais confiée par mon gynécologue pour vérifier la fermeture du tube neural, ce charmant professeur, que je respecte sincèrement pour avoir travaillé avec lui, je n’en sais pas s’il m’a reconnu, se met en tête de me prouver que j’ai tort : il me demande mon âge, les dosages de biologie, et me donne avec son logiciel un risque à 1/135 !
Peut-être, je ne veux pas prendre le risque, même faible de 1/1000, de perdre mon bébé, et en plus c’est une fille, et je m’entends dire «  Oui mais un enfant trisomique c’est pour la vie, des enfants vous pouvez en avoir d’autres » !
Je travaillais depuis 7 ans dans ce CHU, je soignais des patients souffrants de mucoviscidose, de myopathie de Duchenne, et tout plein de patients souffrants de maladies plus rares et invalidantes les unes que les autres, qu’il n’est pas possible de dépister avant la naissance, alors : oui je suis enceinte et tout à fait consciente que mon enfant peut ne pas être « normal », et je ne ferai pas cette amniocentèse !
J’en suis d’autant plus ulcérée, que le risque de T21 à 40 ans est en théorie de 1/50, donc ce 1/135 aurait du être considéré comme rassurant, que j’avais déjà mon opinion, une autre patiente se serait peut être laissée convaincre de pratiquer une amniocentèse qui n’était pas au programme. Étrange et choquant.
Notre fille, née en mai 2010, est superbe, et pour le moment est en excellente santé, merci, et si elle avait une T21 nous l’aimerions tout autant qu’avec n’importe qu’elle autre « anomalie » ou pathologie.

"Hystérectomie" :

Plus récemment, suite à un résultat anormal de frottis cervical de dépistage fait pas mon nouveau gynécologue, nous avons déménagé, il s’avère que la biopsie cervicale retrouve un adénocarcinome in situ, multifocal, il m’est proposé une hystérectomie totale sans annexectomie. 

Ne connaissant pas les chirurgiens de la ville dans laquelle je vis et travaille depuis 3 ans alors, je demande conseil à mon adorable gynécologue. Toujours plein de tact et de délicatesse, il me conseille un des trois praticiens, je lui demande lequel est le plus sympa, il me dit le Dr X.
Je prends donc rendez-vous, et lorsque j’y suis, je réalise que j’ai oublié le courrier et les résultats que j’avais si bien préparés qu’ils étaient restés sur mon bureau. Confiante, je lui expose le plus doctement possible mon cas. Il me demande de m’installer sur la table d’examen, me retire mon stérilet en vue de l’intervention, et m’explique qu’il ne pourra pas programmer l’intervention tant qu’il n’aura pas tous les documents en main. Je lui promets de les lui déposer le lendemain même, mais pour programmer l’intervention, peine perdue.
En tant que consœur, me dit la secrétaire, je n’ai pas à régler la consultation. Mais me voilà contrainte à repartir sans contraception, et de reprendre un rendez-vous, et de perdre 1 mois, parce que je n’avais pas la lettre et les résultats de la biopsie : je dis à la secrétaire que j’aurais préféré payer la consultation et même plus pour avoir une date de chirurgie.

Mais voilà, je me plie à la décision, il m’est déjà pénible de savoir que je ne serai plus jamais mère, même si j’ai déjà 43 ans, 4 enfants, même si à chaque retard de règles je me demande qu’elle décision nous prendrions si j’étais enceinte malgré le stérilet, c’est réellement plus difficile à vivre que l’annonce de l’adénocarcinome, car j’ai conscience que ma vie n’est pas en jeu.
L’accueil et le contact glacial, pour une intervention qui pour une femme est un bouleversement, j’en suis abasourdie, et je me demande comment sont ses confrères s’il est le plus « sympa ».

Je n’en parle pas à mon gynécologue, des collègues me conseillent un autre chirurgien, c’est plus loin, pour mon mari, les enfants encore petits, je préfère me faire opérer au plus près. Je retourne en consultation avec les documents, la date est arrêtée, et j’ai eu tellement peu de renseignements, que j’ai passé des heures sur les forums, pour savoir comment les autres femmes avaient vécu cette intervention. C’est un bon chirurgien, techniquement parlant, allons-y, d’ailleurs, il a fait le job, et je n’ai rien à redire de ce côté-là. Avec le sourire, de l’empathie, et une attitude rassurante, cela aurait parfait.

Je demande à l’anesthésiste que je vois en consultation si je peux être opérée sous rachi anesthésie et hypnose, car je souhaite éviter l’anesthésie générale avec des molécules que je connais ; j’ai toujours mieux vécu sans cela. Ce dernier m’explique que le chirurgien refusera tout net, que ce n’est pas confortable pour moi, qu’il vaut mieux être sous AG. Encore une fois, j’obéis bien que déçue, il me faut déjà m’organiser professionnellement, je dois organiser les consultations afin d’être en convalescence un mois, faire venir ma mère pour nous aider, je n’ai pas l’énergie de me renseigner sur des pratiques différentes.

Me voici opérée, et la pire nuit de ma vie, pire que mes quatre accouchements dont trois sans péri durale, et cette douleur qui ne cède à rien de ce que m’administre les sympathiques infirmières de nuit, me laisse un souvenir amer, d’autant qu’une d’elles m’avoue : « Je ne comprends pas ;  d‘habitude les patientes remontent du bloc avec une pompe à morphine, pour vous je ne sais pas pourquoi vous n’en avez pas. » Alors je souffre et elles me donnent tout ce qui est prescrit sans effet ou presque. C’est la nuit, elles ne vont pas appeler et réveiller quelqu’un pour une patiente douloureuse et je suis trop fatiguée pour le demander.

Finalement, l’infirmière le lendemain matin, avant le passage du chirurgien, me propose un suppositoire d’anti-inflammatoires, de sa propre initiative car je suis réveillée, j’ai demandé et fais le calcul qu’en PCA (analgésie auto-contrôlée par les patients), les patientes habituellement peuvent bénéficier d’une dose d’anti-douleurs quatre fois supérieure à celle qu’on me donne ! Je propose de faire la prescription moi-même !

Le lendemain, le chirurgien me dit que je peux reprendre le travail dans quinze jours, je n’en crois pas mes oreilles, j’espère qu’il n’est pas sérieux, j’ai besoin de ce mois de repos, même s’il trouve que tout se passe pour le mieux, c’est ce qu’il m’avait dit en pré-op et ce n’est pas du luxe, car même avec ce mois de repos , j’ai mis 6 mois à me remettre totalement d’aplomb, enfin il m’a fait l’arrêt d’un mois.

A ma sortie de l’établissement, je croise l’anesthésiste, je lui demande pourquoi je suis remontée sans PCA, et là il me répond avec un grand sourire « Au bloc on vous a demandé si vous aviez mal, vous avez répondu non, alors pour vous éviter de vomir, on a décidé de ne pas mettre de PCA »*. Je n’ai jamais eu de morphine, personne ne pouvait savoir si j’allais bien ou mal toléré mais ils savent que c’est douloureux, et si j’avais vomi il était toujours temps d’essayer autre chose ! J’en suis restée sans voix ! En 2013……

M. H. 

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* Trois remarques explicatives :

·       En raison du mode d'action des anesthésiques, et  d'une fréquente amnésie post-opératoire, les conversations qui ont lieu juste avant l'intervention et au réveil sont le plus souvent oubliées par les patients. Tous les anesthésistes savent ça. En principe.

·       En post-opératoire immédiat, les patients peuvent certes répondre à des questions simples et ils peuvent certes ne pas avoir mal parce que l’anesthésie est encore efficace ; mais ça ne veut pas dire qu’ils n’auront pas mal plus tard, quand ladite anesthésie aura cessé d’agir. S’assurer qu’un.e patient.e ne souffre pas dans les heures qui suivent une intervention, c’est le b-a ba de l’anesthésie. 

·       L’anesthésiste a invoqué le « souci » de ne pas provoquer de vomissements par la prescription de morphine. Mais le souci de « prévenir » un effet secondaire possible et hypothétique justifie-il de NE PAS soulager la douleur ? L’argument de cet anesthésiste me fait penser à celui qu’on opposait jadis aux cancéreux au stade terminal qui réclamaient de la morphine : « Je ne vous en donne pas car vous risquez de devenir accro… »

MW




3 commentaires:

  1. J'ai subi un jour une petite intervention chirurgicale sous anesthésie générale. C'était la 1ère anesthésie générale. Beaucoup de mes amies m'avaient de dire au réveil que j'avais mal même si je ne ressentais rien. J'ai ressenti une légère douleur mais je m'en suis plainte comme on me l'avait conseillé. J'ai du avoir des antalgiques et tour s'est bien passé. C'est quand même incroyablevqu'il faille avoir de telles stratégies pour que la douleur soit prise en compte.

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  2. Il y a quelques années j'étais à l'école d'infirmière lorsque je me suis retrouvée enceinte (lors d'un stage en maternité !)de mon troisième enfant. J'ai du arrêter ma formation pendant un an et 3 mois après avoir repris mes études je me suis rendu compte que j'étais à nouveau enceinte. Pour information mon gynécologue m'avait appris que j'étais stérile avant mon deuxième enfant et m'avait mise sous traitement pour je puisse mener cette grossesse à terme.
    A l'annonce de ce 4e bébé à venir, dont je n'ai parlé qu'au bout de deux mois et demi, mon mari a pris peur et m'a clairement dit que l'IFSI refuserait certainement un nouvel arrêt dans ma scolarité et que je devais donc avorter.
    La mort dans l'âme je me suis rendue à la clinique accompagnée d'une amie (lui est allé travailler). J'ai rencontré le chirurgien qui devait pratiquer l'intervention et lui ai dit en pleurant : je ne veux pas avorter !
    Il m'a répondu d'un ton un peu agacé "Allons, allons, ça ira mieux après !".
    Trois jours après je passais sur le billard avant de rentrer chez moi, toujours accompagnée de cette amie.
    Le lendemain en allant aux toilettes j'ai senti quelque chose d'étrange au niveau de mon vagin. Je me suis essuyée et ai trouvé sur le papier le petit "corps" de mon bébé.
    En larmes j'ai filé chez mon généraliste lui montrer l'embryon déjà bien formé. Il m'a traitée de folle, m'a dit que c'était un morceau de placenta et l'a jeté dans sa poubelle. Folle de rage j'ai demandé des explications et il a fini par me dire que "la seule explication qu'il voyait c'est qu'il devait y avoir des jumeaux, que le chirurgien en a retiré un et que l'autre est resté". J'étais bouleversée. Au lieu d'avoir tué mon enfant, j'en avais certainement tué deux ! Moi qui rêvé d'un 4e petit garçon. J'ai plongé dans les ordures pour récupérer ce qu'il me restait de mon enfant, l'ai ramené à la maison, l'ai mis sous le nez de mon mari exsangue avant de le rentrer délicatement dans un petit vase en porcelaine sur lequel j'ai mis un bouchon en liège.
    Je ne leur ai jamais pardonné, à aucun des trois ! Et je ne me suis jamais pardonné non plus d'avoir cédé.

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  3. De quoi le malade est-il coupable ?

    L’hôpital comme prison... De la question pénitentiaire à la question hospitalière...
    Surveiller et punir : naissance de l’hôpital (oups, pardon, De la prison...)(Michel Foucault, 1975)

    C’est tout à la fois le bannissement et le châtiment des condamnés propre à l’Ancien régime, et le lieu de la punition impersonnelle (et cachée : disparition des exécutions publiques...) par la société à partir du XIXe siècle : se protéger des malades : investir les corps et les âmes « pour leur bien », (et celui de la société). Enfermement, surveillance et discipline...

    Corps et âmes traversés par les rapports de pouvoir, corps objets de connaissance.

    On s’y prononce « scientifiquement » sur le degré de responsabilité du malheureux... questionné, noté (voire redressé grâce à l’interrogatoire psychologique...), dont on consigne les comportements et les mœurs...

    De quoi le malade est-il coupable ?

    HB

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